À l’attention de :
Madame la Ministre de la Culture,
Madame la Ministre du Travail, de la Santé et des Solidarités,
La réforme du RSA, votée en novembre dernier, va désormais contraindre les allocataires à intégrer une entreprise ou à suivre une formation pour une durée hebdomadaire de 15 heures. Le versement de l’allocation sera conditionné à cette obligation, et en l’absence d’effectivité de ces “heures d’activité”, l’administration pourra suspendre ce revenu de subsistance.
Indépendamment de nos fortes réserves sur cette réforme, nous souhaitons vous alerter sur les dangers qu’elle pourrait faire peser sur l’activité professionnelle des allocataires artistes- auteur·ices.
Les artistes-auteur·ices sont des travailleur·euses non-salarié·es qui créent des œuvres protégées par le code de la propriété intellectuelle. Il est nécessaire de prendre en compte les conditions spécifiques d’exercice de leur activité, leurs professions étant particulièrement exposées aux risques socio-économiques, faute d’une protection sociale complète. En effet, ils/elles n’ont pas droit au chômage.
Dans le cas des professions salariées, l’exercice de l’activité procure systématiquement un revenu régulier qui est notamment fonction du temps de travail. En revanche, la création artistique est décorrélée d’une notion de temps de travail et sa rémunération, très souvent, n’est pas immédiate. Pendant le temps consacré à la création – qui constitue l’essence de leur travail – les artistes-auteu·ices ne sont pas payé·es. Or créer nécessite du temps, et c’est d’ailleurs ce qui fonde la valeur d’une œuvre. A ce stade, ils/elles ne savent pas encore quand et comment sera vendue ou diffusée leur création… Ce n’est qu’une fois l’œuvre achevée, qu’ils/elles pourront être amené.es à percevoir des revenus d’auteur, déterminés en fonction de la vente ou de la diffusion de celle-ci.
De cette absence de corrélation entre travail et revenu découle une forte imprévisibilité sur les revenus à venir, et des versements nécessairement irréguliers. À cette précarité économique particulière, des mesures spécifiques doivent être apportées notamment en matière de minima sociaux (RSA, ASS, à défaut d’un système plus protecteur comme l’allocation chômage).
Les allocataires artistes-auteur·ices qui perçoivent le RSA ou l’ASS ne souffrent ni d’un manque de formation, ni d’une perte d’emploi, ni de problèmes de réinsertion. En revanche, ils pâtissent des difficultés inhérentes aux métiers de la création artistique, aggravées par une insuffisante couverture sociale.
Les allocataires artistes-auteur·ices consacrent bien plus de 15 heures hebdomadaires à l’exercice de leur activité, qui comprend à la fois les travaux préparatoires et de recherches, le temps de conception, mais aussi toutes les démarches en vue de la diffusion ultérieure des œuvres. Et les “activités” envisagées a priori par la réforme du RSA n’ont aucun lien avec les leurs (formation, atelier CV, stage d’immersion en entreprise ; réalisation de démarches d’accès aux droits ; participation à des activités dans le secteur associatif, etc.), mais plus encore, elles viendraient empiéter, sans aucun bénéfice pour eux, sur le temps dont ils/elles ont besoin pour espérer pouvoir vivre de leur profession.
Aussi par la présente, nous demandons que les travailleur·euses affilié-es à la Sécurité sociale des artistes-auteurs bénéficiaires du RSA soient expressément dispensé-es de cette obligation, pour qu’ils/elles ne se retrouvent pas en situation de devoir réduire leur temps consacré à l’exercice de leur activité, voyant ainsi fondre les ressources qu’ils/elles pourraient en tirer.
De surcroît, nous vous informons que nous nous opposons fermement à la suppression de l’ASS, qui est l’unique allocation versée par France Travail à laquelle ont droit les travailleur·euses affilié-es à la Sécurité sociale des artistes-auteurs et qui, comme vous le savez, est plus protectrice que le RSA, car elle permet notamment de valider des trimestres de retraite. Sa suppression serait catastrophique pour les artistes-auteur·ices, qui subissent souvent des périodes de grandes difficultés économiques.
Nous vous remercions pour l’attention que vous voudrez bien porter à ce courrier et vous prions d’agréer, Madame la Ministre de la Culture, Madame la Ministre du Travail, de la Santé et des Solidarités, l’expression de nos sentiments respectueux.
Liste des organisations signataires :
- AdaBD – association des auteurs de Bande Dessinée
- AICA France – Association International des Critiques d’Art
- AFD – Alliance France Design
- ATAA – Association des Traducteurs/Adaptateurs de !’Audiovisuel
- ATLF – Association des traducteurs littéraires de France
- CAAP – Comité pluridisciplinaire des artistes-auteurs et autrices
- CEA – Association Française des commissaires d’exposition
- E.A.T – Écrivaines et Écrivains Associés du Théâtre
- États généraux de la bande dessinée
- GARRD – Guilde des auteurs-réalisateurs de reportages et de documentaires
- L’ACID – Association du Cinéma Indépendant pour la Diffusion
- La Boucle documentaire
- La CGT Spectacle
- La Charte des auteurs et illustrateurs jeunesse
- Ligue des auteurs professionnels
- SAJ – Société des Auteurs de Jeux
- SDS – syndicat des scénaristes
- SELF – Syndicat des Ecrivains de Langue Française
- SFR CGT – Syndicat français des Réalisateurs
- SMC – syndicat français des compositrices et compositeurs de musique contemporaine
- SMdA FC3 Cfdt – Solidarité maison des artistes
- SNAA-FO – Syndicat National des Artistes-Auteurs
- FO SNAP-CGT – Syndicat national des artistes plasticiens
- SNMS – Syndicat National des metteuses et metteurs en scène
- SNP – Syndicat National des Photographes
- SNSP – Syndicat National des Sculpteurs et Plasticiens
- SRF – Société des réalisatrices et réalisateurs de films
- STAA CNT-SO – Syndicat des travailleur·ses Artistes-Auteur·ices
- UNPI – Union Nationale des Peintres-Illustrateurs
- USOPAVE – Union des Syndicats et Organisations Professionnels des Arts Visuels et de l’Écrit